samedi 28 août 2010

La mer cruelle (The Cruel Sea), Charles Frend, 1953.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, deux civils sont affectés sur un navire chargé d'escorter les convois des navires de la Royal Navy. Sous les ordres du capitaine Ericson (interprété par Jack Hawkins), ils vont devoir affronter les attaques de sous-marins. Titre qui appelle à l'aventure, vedette charismatique, adaptation d'un roman à succès, tout laisse présager un grand film hollywoodien.

Que nenni. Le film est britannique, tout droit sortit des studios Ealing (sous la houlette de J. Arthur Rank) et n'a rien à voir avec un film d'aventures. C'est un vrai film de guerre, retraçant de manière épurée et fidèle, sans concessions (on pense dans le même genre à L'armée des ombres, sur un autre thème souvent sujet à la glorification facile), la vie de plusieurs marins de la Royal Navy sur une petite corvette. Le choix du navire rompt déjà avec le film de guerre traditionnel, les navires d'escortes n'étant pas au combat directement, mais plutôt chargés d'assurer la sécurité. Pas vraiment de quoi y trouver des héros du grand écran. Mais c'est le but du film : suivre le destin de quelques individus ordinaires confrontés à une situation à laquelle ils n'étaient pas préparés.

Jack Hawkins.

Le film est déroutant. Tourné au début des années 50, on ne s'attend pas à une telle objectivité dans le scénario et dans l'attitude des personnages. Le militaire incarné par Jack Hawkins n'est en rien le héros "classique" de l'époque : il est en proie à des doutes, peut rentrer dans de terribles colères, perd le sens réel du raisonnement à mesure que l'histoire progresse. Son obsession de détruire un sous-marin le pousse à abandonner plusieurs de ses hommes tombés à la mer, et à faire de cette traque une affaire personnelle (on retrouve le même schéma, au dénouement plus hollywoodien, dans Torpilles sous l'Atlantique, avec Robert Mitchum).

Compte tenu de l'époque, le film devrait être manichéen, un produit de propagande pro-nations victorieuses de l'après guerre. Il n'en est rien. Une scène finale apparaît comme tout à fait surprenante, et remarquable, quand un marin qui fait prisonnier des allemands constate : "Ils n'ont pas l'air si différents que nous". Autre parti pris intéressant, le fait de ne jamais montrer l'ennemi directement (on retrouve ce même parti pris dans Master and Commander, de l'autre côté du monde) - qui ne fait que renforcer le suspens, et permet de se concentrer entièrement à ses personnages. Lesquels ne sont montrés qu'en mer quasiment, les rares séquences sur terre sont rapides, peu développées et ne servent pas l'histoire (pas de relation amoureuse qui chamboulerait le destin de tous ...).

Jack Hawkins.

Filmé sobrement, parfois à la manière d'un documentaire (le début sur l'apprentissage notamment), le film n'a pas de fin réelle, s'arrête brusquement, comme il a commencé. L'interprétation sert sans problèmes le scénario - Jack Hawkins prouve qu'il est un acteur de qualité et trouve un rôle un peu plus profond que ses prestations américaines (dans Ben-Hur ou Lawrence d'Arabie notamment). Peu divertissant, le film est toutefois une très belle réussite, incarnation parfaite de ce que recherche le cinéphile : du beau cinéma.


Mon avis sur le film : 8/10
Certains passages de ma critique recoupent avec l'article wikipédia du film. J'avoue être l'auteur de cet article, et donc tout à fait en droit de me paraphraser.

vendredi 27 août 2010

Les contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet), Fritz Lang, 1955.

Un film d'aventures sans mer, un film de pirates sans pirates, un film de trésor sans trésor, un film d'enfants pour les adultes. Tel pourrait être résumé avec provocation Les contrebandiers de Moonfleet, tant il ne ressemble en rien à ce qu'on attend de lui en le découvrant. L'histoire de ce petit garçon à la recherche du trésor de son ancêtre qui cherche l'aide d'un "vieil ami de sa mère" a tout, a priori, pour séduire quiconque sort son sabre et son pistolet quand il entend les mots "aventures" et "hollywood".

Et pourtant ... le premier plan du film, sombre, comme une peinture de la campagne anglaise du XVIIIe siècle, prévient qu'il ne va pas s'agir d'un nouveau film de pirates, où bondira sans prévenir un Errol Flynn souriant. Le petit garçon découvre le village de Moonfleet de nuit, voit une main sortir d'un puits, non loin d'une terrifiante statue médiévale et chute avant d'être enlevé par des contrebandiers. Le début du film surprend par tous ces éléments "contraires" à un grand film d'aventures familial.

Stewart Granger, à l'épée.

Le ton est donné. Il faut ainsi tout de suite chercher ailleurs que dans le divertissement pur, qui existe pourtant à plusieurs reprises. Mais même lors d'un duel singulier, le ton est grave et les personnages fermés, concentrés sur cette question de vie ou de mort (un vrai duel quoi !). Quand Flynn, Fairbanks ou Marais parlaient en combattant, sautaient sur la moindre table qu'ils trouvaient, gardaient le sourire permanent (Granger s'y prête également dans l'excellent Scaramouche), ici, le personnage de Jeremy Fox ne plaisante pas. Le duel est sérieux, son adversaire n'a pas pris la peine de ramasser une épée, il s'est saisit d'une hallebarde gigantesque qu'il fait tourner en dessus de sa tête. De même quand Fox et le petit garçon rentrent dans une caserne militaire, on n'est jamais vraiment sûr qu'ils réussiront à sortir - question qui n'existe pas dans le film d'aventures dit "classique".

La photographie du film est remarquable, et elle est mise en valeur par la réalisation de Fritz Lang, épurée, et adaptée au ton du récit. Les décors jouent un rôle primordial, car ils sont responsables - en partie - de l'ambiance particulière dans ce village du sud de l'Angleterre. Les statues médiévales, le cimetière constamment recouvert d'une petite brume, le manoir en ruines à l'extérieur mais coloré à l'intérieur, la vieille auberge, repère des contrebandiers où l'on a pas du tout envie de se perdre pour prendre un verre, la terrifiante statue de Barberousse dans l'église ... autant d'éléments plus propres à l'univers de Lang qu'au film de pirates.

Jon Whiteley, Stewart Granger et George Sanders.

Le personnage de Stewart Granger est une réussite complète. Entouré de mystère, à la fois solitaire et homme à femmes (la magnifique séquence de la danse de la gitane, visuellement très réussie), distant et proche du petit garçon, gredin et homme d'honneur, combattant à l'épée mais n'hésitant pas à utiliser le pistolet. L'interprétation de cet acteur un peu moins connu que les autres, mais qui est pourtant - à mon humble avis - vraiment formidable, est un régal. Passant de l'antipathique notoire (il répudie une femme qui a tout quitté pour lui) au protecteur (il pousse le jeune garçon et s'engage dans un duel), il s'offre également l'une des plus belles sorties du cinéma, à la fois humble, romantique et virile.

L'appréhension quant aux premières minutes du film passée, le spectateur suit avec délice les aventures de ce jeune garçon, qui découvre la réalité du monde (la traitrise, l'indifférence, la corruption ...), oubliant presque (et c'est, je pense, volontaire de la part de Fritz Lang) l'histoire de cette chasse au trésor (que l'on ne voit pas et dont on ne sait pas ce qu'il en advient), prétexte à un film de genre beaucoup plus profonds que son apparence, beaucoup plus réussit qu'il n'y paraît. Un chef d'œuvre.

Mon avis sur le film : 9/10.

jeudi 26 août 2010

Espions sur la Tamise (Ministry of Fear), Fritz Lang, 1944.

Un homme détenu depuis deux ans est relâché en pleine campagne anglaise, régulièrement bombardée par les allemands. Dans une fête foraine locale, il découvre le poids d'un gâteau, qu'il remporte. Mais il s'aperçoit bien vite qu'il n'était pas le gagnant attendu et que trop de gens s'intéressent à ce gâteau ... Voilà de quoi fixer le poids de départ de ce formidable film de Fritz Lang.

Sur un modèle de suspens très classique - à ce niveau, les vingt premières sont (en apparence) parfaitement convenues et ne peuvent nous mener vers une surprise de taille -, Lang parvient, grâce au scénario de Seton I. Miller, à rendre cette histoire d'espionnage banale d'une infinie complexité. Le personnage de Ray Milland (convaincant dans ce rôle dramatique) prend de l'épaisseur à mesure que l'histoire progresse et, fait étonnant - et donc digne d'être souligné -, s'entoure de mystère alors que l'intrigue se dénoue au spectateur. A tel point que la dernière minute (bâclée) laisse complètement pantois sur ce que l'on vient de voir.

Percy Waram et Ray Milland.

Fritz Lang, à son habitude, brouille les cartes de son personnage principal, un homme solitaire qui semble seul contre le reste du monde. Plusieurs scènes sont d'une extraordinaire puissance : la séance de spiritisme d'abord, dans le noir, où seuls les visages éclairés apparaissent à l'écran. L'ambiance est terrifiante, et l'on ne serait pas étonné de voir apparaître parmi les invités un M le Maudit ou autre Docteur Mabuse. On croit d'ailleurs apercevoir ce dernier lors d'une alerte à la bombe dans la rue, tout comme une petite fille avec un ballon, sortie tout droit du chef d'oeuvre interprété notamment par Peter Lorre.

La présence sous-jacente de l'ennemi nazi confère une force supplémentaire au film, puisqu'il est impossible de savoir qui est réellement au service de l'Allemagne, tout le monde le devenant potentiellement au fur et à mesure de la progression. La fin bouleverse totalement l'idée que l'on pense définitive sur le dénouement. Relativement peu efficace visuellement (le dernier plan - comique - frise l'inconvenance), elle est néanmoins mystérieuse et force le spectateur à revoir tous ses préjugés sur les personnages principaux, celui de Ray Milland bien sur, mais aussi celui de Marjorie Reynolds, la belle secrétaire.

Espions sur la Tamise est un film comme il en est rarement permis de voir. Se jouant continuellement du spectateur, l'illustrant de superbes séquences (la découverte de la mort de Dan Duryea, trop rapide, ne permet pas de savourer assez longtemps le magnifique plan du réalisateur), Fritz Lang parvient à transformer une série B banale en un chef d'œuvre de complexité et de profondeur.

Mon avis sur le film : 8/10

mercredi 25 août 2010

Chantons sous la pluie (Singin' in the Rain), Stanley Donen & Gene Kelly, 1952.

Imaginez le pire. Votre maison brûle, votre magnifique téléviseur haute définition n'existe plus, votre lecteur Blu-Ray non plus, il ne reste qu'une chose à faire, sauver quelques films et s'enfuir à toutes jambes. Il existe certains chefs-d'œuvres pour lesquels on pourrait mettre sa vie en danger. Il ne vous reste qu'une main, dans l'autre il y a Lawrence d'Arabie et Amadeus. Sauvez Chantons sous la pluie ! Au moins, cela vous redonnera le sourire quand l'assurance vous annoncera que vous étiez seul responsable de l'incendie.

Au terme des 103 minutes, plusieurs questions inondent l'esprit : comment ais-je pu vu vivre jusqu'à présent sans avoir vu ce film ? Comment telle perfection est-elle possible ? Pourquoi Gene Kelly et pas moi ? Autant d'interrogations dans l'excitation du premier visionnage. Les suivants sont plus savoureux encore. C'est comme manger un plat dont on sait qu'il est la perfection incarnée. Car il s'agit bien de perfection. Chantons sous la pluie est à lui seul l'incarnation de la comédie musicale hollywoodienne. Un grand réalisateur (il faut revoir son Two for the Road, avec Audrey Hepburn), un géant de la danse (Gene Kelly) également chorégraphe, chanteur et excellent acteur, et des chansons toutes plus belles les unes que les autres.

Gene Kelly, Debbie Reynolds et Donald O'Connor.

Les autres comédiens assurent parfaitement face à Gene Kelly : la charmante Debbie Reynolds (vedette féminine de La Conquête de l'Ouest notamment) et le bon Donald O'Connor (un peu tombé dans l'oubli aujourd'hui alors qu'il fut une star). A l'aise dans la comédie musicale, il n'eut aucun mal à affronter la star de Un Américain à Paris, créant avec lui un formidable numéro de duettiste au début du film, Fit As a Fiddle, impressionnant de maîtrise, éblouissant de virtuosité.

Les numéros musicaux sont tous des pièces d'orfèvrerie. Outre le légendaire Singin' in the Rain, quel enchantement de découvrir You Were Meant for Me. Le ballet de Broadway, et la prestation presque angélique de Cyd Charisse, est l'apothéose du film. Presque un quart d'heure de musique ininterrompue et de danse, les acteurs passant d'un décor à un autre, comme dans un rêve. Teintons toutefois, pour la forme, ce récit dithyrambique d'une petite nuance : je préfère le ballet final de Un américain à Paris, la mise en scène et les idées de Minnelli étant à mon goût plus innovantes. C'est dit.

Cyd Charisse et Gene Kelly.

Et que dire de l'histoire ? Passionnante évocation d'une tragédie méconnue : le passage du muet au parlant, et la disparition de plusieurs stars de l'époque, n'ayant pu s'adapter à la modernité. Le film raconte la transition délicate d'un couple de vedettes du muet vers le cinéma parlant, et des difficultés pour le personnage de Jean Hagen, belle comme tout, mais dotée d'une voix inaudible et ridicule pour une héroïne romantique. Chantons sous la pluie est un film sur Hollywood, et nous montre - à travers de superbes tableaux (la séquence dans le studio vide, dans la brume) - une représentation de l'usine à rêve de l'époque. Elle était à l'image du nom de la société qui emploie Gene Kelly dans le film, Monumentale.

Quelle jeune fille n'est pas tombée amoureuse de Gene Kelly durant son enfance ? Quel jeune garçon n'a pas rêvé de tenir Debbie Reynolds dans ses bras ? Revoir Chantons sous la pluie est un émerveillement de chaque instant, une nostalgie bénéfique et dotée d'un terrible pouvoir de contagion de bonne humeur. S'il ne fallait revoir qu'un seul film avant de mourir, ça serait celui-là. Pour que la transition avec le paradis ne soit pas trop brutale ...

Mon avis sur le film : 10/10
Mon avis sur le DVD : Magnifique édition collector 2 DVDs, avec beaucoup de bonus passionnants, et des documentaires sur l'âge d'or de la comédie musicale à Hollywood. On apprend beaucoup notamment sur l'homme qui se cachait derrière beaucoup de ces succès, Arthur Freed.

Capitaine Blood (Captain Blood), Michael Curtiz, 1935.

Capitaine Blood fit de Errol Flynn une star et l'archétype du héros du film d'aventures hollywoodien. La trépidante histoire d'un médecin injustement condamné à l'esclavage et qui se rebella contre le Roi d'Angleterre fut un très gros succès et demeure encore aujourd'hui un classique du film de pirates. Réalisé par Michael Curtiz (dont la question ne cesse de provoquer les débats entre cinéphiles : fut-il un grand cinéaste ou un très bon employé de studios ?), il inaugura une fructueuse série de films avec Flynn dont L'aigle des mers ou Les aventures de Robin des Bois.

Que penser aujourd'hui de ce film ? Du bien. Je ne serai pas de ceux qui voient un film démodé ou vieillot, mais plutôt du - large - groupe de ceux qui le voient avec un immense plaisir. Errol Flynn est bondissant, charmeur au possible, toujours le sourire en coin (même dans un duel singulier sur des rochers) et terriblement charismatique. Ce qui lui manque d'espièglerie (dans ce film en tout cas) est apporté par la lumineuse Olivia de Havilland, qui incarne la partenaire idéale. Les seconds rôles sont très bien choisis et endossent tous à merveille leurs emplois respectifs : du méchant Roi à l'hypocrite colonel ambitieux, en passant par les marins dévoués.

Ivan Simpson, Olivia de Havilland et Errol Flynn.
Michael Curtiz réalise avec fougue cette aventure, incluant déjà quelques scènes avec les grandes ombres sur les murs (un peu trop d'ailleurs), cette petite touche personnelle qui atteindra son apogée quelques années plus tard dans le duel final des Aventures de Robins des Bois. Peu de choses à redire sur la mise en scène, efficace et adaptée au film d'aventures. On regrette peut-être le cabotinage excessif de la vedette, parfois, qui laisse à penser que le réalisateur lui laissait beaucoup de liberté.

Quelques imperfections ici et là sont notables (les effets spéciaux parfois limites), mais elles ne sont que le fruit de l'époque où le film fut tourné : le milieu des années 30. Notons - par chauvinisme, rien de plus - le ridicule accent anglais de Basil Rathbone interprétant un capitaine français, Levasseur. Regrettons aussi - et cela est un peu plus dérangeant - le manque de séquences de batailles (même si l'unique affrontement final est réussi) et la faiblesse du seul duel à l'épée, aussi court que dépourvu d'intérêt majeur.

Mon avis sur le film : 7/10
Mon avis sur le DVD : Intégré dans un gros coffret "La Collection Errol Flynn", il présente quelques documents d'archives intéressants. La restauration du film n'est pas parfaite, mais honorable. On a, pour plusieurs séquences, l'impression de voir le film tel qu'il fut projeté à sa sortie ... ce qui n'est pas forcément pour déplaire aux amateurs.

mardi 24 août 2010

Gigi, Vincente Minnelli, 1958.

Une comédie musicale américaine dont les trois personnages principaux sont interprétés par des français, voilà un cas assez exceptionnel à Hollywood, qui mérite qu'on s'y arrête. Derrière la caméra toutefois, un habitué, Vincente Minnelli, qui retrouve la capitale française quelques années après Un américain à Paris avec Gene Kelly. Gigi raconte l'histoire, simple, d'une jeune fille rêvant d'amour qui rencontre un jeune homme riche et désabusé.

Classique de la fin des années 50, Gigi bénéficie d'une distribution originale : Louis Jourdan et Leslie Caron (déjà dans Un américain à Paris) forment le jeune couple vedette du film, accompagnés de Maurice Chevalier (et son accent français inimitable) et Hermione Gingold. Le duo principal fait beaucoup moins d'étincelles qu'un Gene Kelly/Leslie Caron mais fonctionne tout de même assez pour nous faire croire à son histoire. Louis Jourdan ne semble pas très à l'aise dans ce rôle, sinon quand il répète It's a bore ! ("C'est ennuyeux !"), titre qui ne résume pas - affirmons-le d'emblée - cette œuvre esthétiquement très réussie.

Hermione Gingold, Louis Jourdan et Leslie Caron.
Le Paris de la Belle Époque est soigneusement reconstitué - à la manière de Hollywood - et offre un ravissement pour les yeux. Les costumes accompagnent la réjouissance de nos sens, qui atteint, logiquement, son paroxysme à l'écoute des nombreuses chansons interprétées par les comédiens. Il faut avoir entendu Maurice Chevalier chanter Thank Heaven For Little Girls (titre aux paroles assez douteuses dans notre temps où se multiplient les affaires pédophiles) pour comprendre pourquoi les américains s'entichèrent durablement de l'homme au canotier, lui permettant même de faire une très belle carrière outre-Atlantique.

Cet émerveillement régulier n'explique cependant pas l'avalanche d'Oscars que reçu ce film (9 en tout !) dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, sinon l'absence de concurrents sérieux. Si Gigi est une réussite incontestable, il n'égale pas les meilleurs Minnelli (Un américain à Paris, Tous en scène) ou Donen (Chantons sous la pluie). Le rythme est quelques fois saccadé créant plusieurs scènes dont on se serait bien passé (les séances de bonnes manières de la tante, les rebondissements avec l'ancienne conquête de Louis Jourdan ...). En outre, l'absence d'une grande scène chantée et dansée fait défaut. Notons pour la défense du réalisateur qu'il ne fut pas totalement responsable de la version définitive, remaniée par les producteurs.

Heureusement pour nous, plus de plaisir que d'amertume à la vision de cette Gigi "so french" (qui fut d'ailleurs une des dernières grandes comédies musicales de l'époque) où s'enchainent les scènes joyeuses et colorées, dernières représentantes - avec quelques stars encore en vie - d'une époque où Hollywood concevait ce qu'on faisait de mieux en matière de divertissement. That was enterteinment ! ...

Mon avis sur le film : 7/10
Mon avis sur le DVD : Juste le film. La qualité de l'image n'était pas à la hauteur d'une bonne restauration.

lundi 23 août 2010

Ceux de Cordura (They came To Cordura), Robert Rossen, 1959.

Ceux de Cordura est l'un des derniers films du réalisateur Robert Rossen, et de l'acteur Gary Cooper, et apparaît naturellement comme un film crépusculaire. L'histoire d'un officier considéré comme un lâche par sa hiérarchie, chargé d'accompagner plusieurs soldats qui se sont distingués par leur attitude héroïque pour qu'ils reçoivent une médaille, et qui doit s'enticher d'une américaine accusée d'avoir aidé des mexicains dans la guerre livrée contre Pancho Villa.

Décrié par beaucoup, considéré comme un film mineur (Bertrand Tavernier, dans 50 ans de cinéma américain, n'y voit qu'une "œuvre statique, amère" dont le seul intérêt est sa "mauvaise conscience"), je me souviens avoir été totalement ébloui par cette histoire et par la qualité de son interprétation. Impossible à un quelconque moment d'arrêter une opinion sur les personnages, sur l'évolution possible du scénario ou même sur le style, à mi-chemin entre film de guerre et western. Ceux de Cordura est une transition générale, le passage de l'homme d'honneur à l'individualisme, de la cavalerie aux blindés, du western classique au western crépusculaire. Dix ans avant Peckinpah et sa Horde Sauvage, Rossen brouillait la frontière entre le bien et le mal en montrant un lâche plein de courage et des héros antipathiques et fourbes.

Gary Cooper et Robert Keith.
L'évolution des personnages est accentuée à mesure que les paysages changent et se durcissent. La dureté du désert ne contraste pas avec le caractère des cinq héros qui doivent être présentés à la médaille d'or du congrès, mais accompagne leurs états d'âmes de plus en plus nombreux face à un Gary Cooper obstiné, ne comprenant pas pourquoi ces soldats refusent l'honneur qui va leur être fait. Le scénario - assez classique dans le déroulement - montre petit à petit la véritable personnalité des ces hommes formidablement interprétés, avec en tête l'excellent Van Heflin.

Deux légendes du cinéma américain partagent l'affiche de ce film, Gary Cooper et Rita Hayworth. Leurs rôles marquent d'autant plus qu'on a l'impression qu'ils jouent "pour de vrai". Hayworth trouve le personnage d'une femme sur le déclin, qui se sait finie et dont les débordements alcooliques n'arrangent rien, quand Cooper se voit en militaire vieillissant qui va livrer sa dernière bataille avec acharnement et dignité (Coop' mourut d'un cancer deux ans plus tard). Sa prestation est remarquable de justesse et plusieurs séquences - la longue lutte contre la fatigue et le sommeil quand il se charge de surveiller les soldats qui veulent s'enfuirent, le moment de bravoure où il tire pathétiquement, seul, un wagonnet - s'inscrivent dans la mémoire du spectateur.

Mon avis sur le film : 8/10
Mon avis sur le DVD : Simplement le film dans la collection Western Classics, avec une erreur dans les informations sur l'équipe technique.

Un blog en français sur Gary Cooper : http://garycooper-france.blogspot.com/

dimanche 22 août 2010

Vainqueur du destin (The Pride of the Yankees), Sam Wood, 1942.

Les turbulences mondiales des années 1940 furent pour le cinéma américain une formidable occasion (ou excuse) de retracer plusieurs vies exceptionnelles à travers des films interprétés par des stars du grand écran. Propagande à peine masquée pour rappeler à tous qu'il faut lutter contre son ennemi quel qu'il soit, puis à la fin de la guerre éloges des héros anonymes, Hollywood offrit plusieurs films tels que Les sacrifiés de John Ford, L'odyssée du docteur Wassell de Cecil B. DeMille avec Gary Cooper ou Un homme change son destin, du même réalisateur que Vainqueur du destin, Sam Wood. En 1942, il réalisa ce film sur la vie du célèbre joueur de base-ball Lou Gehrig, de son enfance à sa fin de carrière prématurée.

Le contexte de création de ces nombreux films de héros aux destins hors du commun influe sur l'écriture des scénarios, et Vainqueur du destin n'est pas épargné par les clichés : les premiers signes de "génie" dès l'enfance, un entourage réfractaire aux volontés du héros ... La réalisation prévisible ne fait qu'accentuer cet éloge de la vie de Lou Gehrig, montré comme quelqu'un d'irréprochable en tous points. Les films démythifiant n'existaient pas à cette époque qui, il faut le reconnaître, avait bien besoin de modèles et d'hommes à qui s'identifier. Ainsi, on peut reprocher au scénario son manque d'objectivité, accentué dès le générique de début par le fait que la propre veuve du joueur de base-ball a été consultée pour la production du film (gage d'authenticité mais aussi de subjectivité).

Babe Ruth (en arrière plan) et Gary Cooper.
Toutefois, Vainqueur du destin s'inscrit dans la liste des films glorifiants réussis. La réalisation de Sam Wood est tout à fait classique mais appropriée à ce genre d'histoire. Les nombreuses scènes de matchs sont bien filmées, et l'ambiance bien rapportée. On se prend alors de passion pour l'ascension fulgurante de ce jeune joueur interprété brillamment par Gary Cooper, impressionnant dans son aisance à jouer n'importe quelle situation. En cela les scènes de la dernière partie du film, alors que son personnage est malade et qu'il se sait condamné, sont sublimes. Comme dans L'homme de la rue l'année précédente, Cooper livre un monologue saisissant devant plusieurs micros et un public dévoué à sa cause. La scène finale au milieu du stade, avec le vrai joueur Babe Ruth, est bouleversante de réalisme et de sincérité.

L'histoire d'amour entre Lou Gehrig et Eleanor Twitchell (formidablement interprétée par Teresa Wright, nommé à l'Oscar) n'est pas originale pour un sou mais réserve quelques jolies séquences, notamment celle avec le policier qui l'aide à s'introduire chez elle, ou celle chez le médecin qui annonce à Teresa que son mari n'a plus beaucoup de temps à vivre. Cette dernière partie plus dramatique, qui contraste avec le ton plus léger de la majorité du film, le rend beaucoup plus intéressant qu'il n'y paraît et nous offre au final un très beau moment de cinéma.

Mon avis sur le film : 8/10
Mon avis sur le DVD : Disponible dans la collection fnac cinéma sous le titre de "La fierté des Yankees", sans aucun supplément.

Un blog en français sur Gary Cooper : http://garycooper-france.blogspot.com/

samedi 21 août 2010

Au feu, les pompiers ! (Hori, ma panenko), Milos Forman, 1967.

Jan Vostrcil (au centre) et la brigade des pompiers.
Avant de connaître le succès que l'on sait à Hollywood avec Vol au dessus d'un nid de coucou ou Amadeus, Milos Forman réalisa plusieurs films en Tchécoslovaquie, son pays d'origine, dont Au feu, les pompiers ! en 1968. Nettement plus réussi à mon goût que son précédent, Les amours d'une blonde - qui avait été un gros succès à sa sortie - ce film narre les diverses péripéties d'une brigade de pompiers organisant un bal dans leur village, dont l'argument principal est la remise d'une hache honorifique à un vétéran.

Pour son troisième long-métrage, Forman adopte une réalisation beaucoup moins "nouvelle vague" qu'auparavant, ce qui fait de ce film à l'histoire parfaitement anodine une véritable curiosité que l'on découvre avec beaucoup de plaisir. Les nombreux gags font mouche tant on sent qu'ils sont le reflet d'une bien triste réalité (les cadeaux de la tombola qui disparaissent petit à petit, le vétéran qui sait à peine ce qu'il fait là ...), le clou étant la préparation du défilé de jeunes filles, pour élire la Miss Pompier de la soirée.

La force du film réside justement dans ces situations souvent ridicules, toujours prêtes à virer d'un moment à l'autre dans le dramatique. La fin tragique - l'incendie d'une maison et le désespoir d'un homme ayant tout perdu - coule de source tant la tension, qui provoque le rire chez le spectateur, est palpable tout au long du film. Certains reprochèrent au réalisateur cette vision dévalorisante de la population et de leurs "réflexes" (on voit à la fin un pompier restituer un lot de tombola qu'il avait volé, quelques plans insistent sur l'alcoolisme de certains pompiers ...), d'autres virent au contraire une vraie critique sociale d'une société à bout de souffle.

Milos Forman fut lâché par son producteur et ennuyé par le régime, fort heureusement il fut sauvé par deux français qui rachetèrent les droits du film : Claude Berri et François Truffaut. Le réalisateur raconte lui-même cette anecdote dans les bonus du DVD, assez intéressants sur le contexte de la production de cette œuvre. On apprend - on s'en doutait un peu toutefois - que les acteurs étaient tous des amateurs, souvent de vrais pompiers, et qu'ils ne virent pas du tout une atteinte à leur dignité ou une quelconque attaque vis à vis leur "classe sociale" en voyant le film quand il leur fut projeté pour la première fois.

Mon avis sur le film : 8/10
Mon avis sur le DVD : On trouve tout ce qu'il faut pour aller plus loin : une interview intéressante du réalisateur, ainsi qu'un petit documentaire sur la carrière européenne de Milos Forman.

mardi 17 août 2010

La Bamba, Luis Valdez, 1987.

Lou Diamond Phillips, alias Ritchie Valens.
Si cet article est rédigé au son de What'd I Say, il doit être consulté avec Summertime Blues au minimum, l'idéal serait encore de mettre à jour sa liste Deezer et d'ajouter à ses favoris les titres de Ritchie Valens, puisque c'est bien de ce chanteur de rock'n'roll dont il s'agit dans ce film, qui retrace sa courte vie. Celui qui trouva la mort avec Buddy Holly et Big Bopper était notamment l'auteur de Come On Let's Go, Donna et La Bamba.

Disons-le d'emblée, le film est avant tout l'occasion de réécouter quelques classiques du rock'n'roll, avant de s'intéresser à la vie de ce gamin disparu prématurément. De toute façon, le scénario est classique (pauvreté, ascension, succès, mort, pleurs) et la réalisation impersonnelle (qui est Luis Valdez ?) mais efficace sur les scènes de musique. La prestation de Lou Diamond Phillips est tout à fait honorable, même s'il ne ressemble à l'original que par la coupe de cheveux. Buddy Holly est plus ressemblant, mais c'est plus simple. La bande-originale est un des gros atouts du film : outre Ritchie, on entend rapidement entre autres Eddie Cochran et Buddy.

Malgré tout, on se prend à l'histoire de ce gosse qui rêvait de rock'n'roll, malgré quelques scènes dont l'authenticité n'a pas du être confirmée : Ritchie qui chante Donna à sa copine par le téléphone d'une cabine téléphonique ... Fort heureusement, le scénario a su éviter le pire : montrer l'accident d'avion, les yeux de Ritchie qui pense à sa copine, les yeux de Ritchie qui pense que le sol n'est plus très loin, les yeux de Ritchie qui se demande pourquoi il est monté dans ce putain d'avion au lieu de prendre le bus comme tout le monde. La mort n'est pas montrée, on ne voit que les réactions des proches. Bonne idée, qui fait - entre autres - de ce simple biopic un vrai bon film qu'on ne se lasse pas de revoir. Come On ! Let's Go !

Mon avis sur le film : 7/10
Mon avis sur le DVD : Juste le film.

Le petit arpent du bon Dieu (God's Little Acre), Anthony Mann, 1958.

Robert Ryan et Tina Louise.
God' Little Acre n'est surement pas la meilleure façon d'aborder la carrière de Anthony Mann, que l'on associe plus vite au western, voir au film historique. Toutefois, découvrir ce film, restauré, offre un grand moment de cinéma, tant dans la construction dramatique (qui voit les tensions s'aggraver à mesure que le père, interprété par l'excellent Robert Ryan, martèle l'idée d'une famille unie) que dans la réalisation soignée de Mann (qui multiplie les séquences visuellement fortes, de l'ouverture à la dernière scène, en passant par la longue séquence du redémarrage éphémère de l'usine et les longs moments passés à creuser des trous autour de la ferme).

La présence d'un Dieu et de l'adoration d'une religion dans une histoire telle que celle-ci, un pauvre fermier qui cherche désespérément l'or caché par son grand-père au lieu de cultiver du coton et de vivre de sa terre, offre à un réalisateur de talent - c'est le cas de Anthony Mann - l'occasion de quelques belles séquences de cinéma : ainsi, on voit Robert Ryan déplacer à plusieurs reprises une croix pour la changer de place. Métaphore simple - simpliste ? - de l'homme qui déplace le problème sans chercher à vraiment le résoudre. Une bagarre finale entre ses fils lui fera prendre conscience des conséquences de l'obsession à laquelle il se livre depuis des années. Ces scènes "mystiques" sont particulièrement bien filmées, et le dernier plan du film est esthétiquement sublime.

On peut reconnaître à l'œuvre quelques longueurs - probablement déjà présentes dans le livre dont le film est l'adaptation - notamment sur le couple Aldo Ray (Will Thompson)-Helen Westscott (Rosamund), mais l'ensemble reste très appréciable. En outre, la présence de quelques scènes sensuelles (Fay Spain dans la baignoire extérieure ou les retrouvailles nocturnes de Will et Griselda) révèle une des clefs des tensions entre les fils, les filles, leurs maris et femmes : le sexe, qui semble alors être - bien plus que l'or - le responsable des maux de la famille Walden.

L'édition DVD dans Les introuvables Fnac peut séduire à première vue mais se révèle assez décevante. L'interview de Jean-Claude Missiaen n'apporte pas grand-chose à qui a déjà entendu parler de Anthony Mann, et on reste sur sa faim concernant les anecdotes sur le tournage. Les affiches et les galeries photos sont des compléments qui ne m'intéressent que très rarement puisqu'on peut trouver de nombreux documents similaires sur le net.

Mon avis sur le film : 8/10
Mon avis sur le DVD : 6/10