Sur un modèle de suspens très classique - à ce niveau, les vingt premières sont (en apparence) parfaitement convenues et ne peuvent nous mener vers une surprise de taille -, Lang parvient, grâce au scénario de Seton I. Miller, à rendre cette histoire d'espionnage banale d'une infinie complexité. Le personnage de Ray Milland (convaincant dans ce rôle dramatique) prend de l'épaisseur à mesure que l'histoire progresse et, fait étonnant - et donc digne d'être souligné -, s'entoure de mystère alors que l'intrigue se dénoue au spectateur. A tel point que la dernière minute (bâclée) laisse complètement pantois sur ce que l'on vient de voir.
Percy Waram et Ray Milland. |
Fritz Lang, à son habitude, brouille les cartes de son personnage principal, un homme solitaire qui semble seul contre le reste du monde. Plusieurs scènes sont d'une extraordinaire puissance : la séance de spiritisme d'abord, dans le noir, où seuls les visages éclairés apparaissent à l'écran. L'ambiance est terrifiante, et l'on ne serait pas étonné de voir apparaître parmi les invités un M le Maudit ou autre Docteur Mabuse. On croit d'ailleurs apercevoir ce dernier lors d'une alerte à la bombe dans la rue, tout comme une petite fille avec un ballon, sortie tout droit du chef d'oeuvre interprété notamment par Peter Lorre.
La présence sous-jacente de l'ennemi nazi confère une force supplémentaire au film, puisqu'il est impossible de savoir qui est réellement au service de l'Allemagne, tout le monde le devenant potentiellement au fur et à mesure de la progression. La fin bouleverse totalement l'idée que l'on pense définitive sur le dénouement. Relativement peu efficace visuellement (le dernier plan - comique - frise l'inconvenance), elle est néanmoins mystérieuse et force le spectateur à revoir tous ses préjugés sur les personnages principaux, celui de Ray Milland bien sur, mais aussi celui de Marjorie Reynolds, la belle secrétaire.
Espions sur la Tamise est un film comme il en est rarement permis de voir. Se jouant continuellement du spectateur, l'illustrant de superbes séquences (la découverte de la mort de Dan Duryea, trop rapide, ne permet pas de savourer assez longtemps le magnifique plan du réalisateur), Fritz Lang parvient à transformer une série B banale en un chef d'œuvre de complexité et de profondeur.
Mon avis sur le film : 8/10
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