vendredi 27 août 2010

Les contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet), Fritz Lang, 1955.

Un film d'aventures sans mer, un film de pirates sans pirates, un film de trésor sans trésor, un film d'enfants pour les adultes. Tel pourrait être résumé avec provocation Les contrebandiers de Moonfleet, tant il ne ressemble en rien à ce qu'on attend de lui en le découvrant. L'histoire de ce petit garçon à la recherche du trésor de son ancêtre qui cherche l'aide d'un "vieil ami de sa mère" a tout, a priori, pour séduire quiconque sort son sabre et son pistolet quand il entend les mots "aventures" et "hollywood".

Et pourtant ... le premier plan du film, sombre, comme une peinture de la campagne anglaise du XVIIIe siècle, prévient qu'il ne va pas s'agir d'un nouveau film de pirates, où bondira sans prévenir un Errol Flynn souriant. Le petit garçon découvre le village de Moonfleet de nuit, voit une main sortir d'un puits, non loin d'une terrifiante statue médiévale et chute avant d'être enlevé par des contrebandiers. Le début du film surprend par tous ces éléments "contraires" à un grand film d'aventures familial.

Stewart Granger, à l'épée.

Le ton est donné. Il faut ainsi tout de suite chercher ailleurs que dans le divertissement pur, qui existe pourtant à plusieurs reprises. Mais même lors d'un duel singulier, le ton est grave et les personnages fermés, concentrés sur cette question de vie ou de mort (un vrai duel quoi !). Quand Flynn, Fairbanks ou Marais parlaient en combattant, sautaient sur la moindre table qu'ils trouvaient, gardaient le sourire permanent (Granger s'y prête également dans l'excellent Scaramouche), ici, le personnage de Jeremy Fox ne plaisante pas. Le duel est sérieux, son adversaire n'a pas pris la peine de ramasser une épée, il s'est saisit d'une hallebarde gigantesque qu'il fait tourner en dessus de sa tête. De même quand Fox et le petit garçon rentrent dans une caserne militaire, on n'est jamais vraiment sûr qu'ils réussiront à sortir - question qui n'existe pas dans le film d'aventures dit "classique".

La photographie du film est remarquable, et elle est mise en valeur par la réalisation de Fritz Lang, épurée, et adaptée au ton du récit. Les décors jouent un rôle primordial, car ils sont responsables - en partie - de l'ambiance particulière dans ce village du sud de l'Angleterre. Les statues médiévales, le cimetière constamment recouvert d'une petite brume, le manoir en ruines à l'extérieur mais coloré à l'intérieur, la vieille auberge, repère des contrebandiers où l'on a pas du tout envie de se perdre pour prendre un verre, la terrifiante statue de Barberousse dans l'église ... autant d'éléments plus propres à l'univers de Lang qu'au film de pirates.

Jon Whiteley, Stewart Granger et George Sanders.

Le personnage de Stewart Granger est une réussite complète. Entouré de mystère, à la fois solitaire et homme à femmes (la magnifique séquence de la danse de la gitane, visuellement très réussie), distant et proche du petit garçon, gredin et homme d'honneur, combattant à l'épée mais n'hésitant pas à utiliser le pistolet. L'interprétation de cet acteur un peu moins connu que les autres, mais qui est pourtant - à mon humble avis - vraiment formidable, est un régal. Passant de l'antipathique notoire (il répudie une femme qui a tout quitté pour lui) au protecteur (il pousse le jeune garçon et s'engage dans un duel), il s'offre également l'une des plus belles sorties du cinéma, à la fois humble, romantique et virile.

L'appréhension quant aux premières minutes du film passée, le spectateur suit avec délice les aventures de ce jeune garçon, qui découvre la réalité du monde (la traitrise, l'indifférence, la corruption ...), oubliant presque (et c'est, je pense, volontaire de la part de Fritz Lang) l'histoire de cette chasse au trésor (que l'on ne voit pas et dont on ne sait pas ce qu'il en advient), prétexte à un film de genre beaucoup plus profonds que son apparence, beaucoup plus réussit qu'il n'y paraît. Un chef d'œuvre.

Mon avis sur le film : 9/10.

Aucun commentaire: