samedi 22 janvier 2011

L'homme de nulle part (1956)


L'HOMME DE NULLE PART (Jubal)
Réalisateur : Delmer Daves
Scénario : Delmer Daves et Russell S. Hughes
Avec : Glenn Ford, Ernest Borgnine, Rod Steiger, Charles Bronson

Jubal est recueilli blessé par un fermier, Shep, qui l'engage avec lui. Ses charmes ne laissent pas indifférente la femme de Shep. Les ennuis semblent inévitables.

Originalité : 8/10
Scénario : 8/10
Musique : 7/10
Interprétation : 8/10
Mise en scène : 9/10
>> Note globale : 8/10

L'homme de nulle part est un western tout à fait remarquable, de par l'interprétation, la mise en scène et le traitement de son idée de départ, fort simple et déjà connue (notamment chez Anthony Mann) : un homme seul, au passé plus ou moins trouble et toujours mystérieux (ici, même en le dévoilant, le personnage ne nous apprend rien) arrive dans une communauté où il a du mal à être accepté de tous. Il y a toujours une femme, belle et désirable, au milieu de tous ces hommes, rivalisant de pouvoir et de virilité. Delmer Daves nous conte cette histoire pendant une bonne partie du film, prenant son temps à montrer l'évolution des relations entre les personnages, la montée des tensions entre certains devenant si forte qu'on n'attend que le moment où elles vont enfin exploser. Il arrive, calmement, dans une superbe séquence décomposée en trois scènes où brille particulièrement Ernest Borgnine. Et la belle mécanique qui fonctionne depuis le début se met en marche à toute allure, l'homme venu de nulle part devenant au premier prétexte venu, une cible, la cible de tous. La foule, la meute, ne fait plus qu'une, représentant ce que l'homme a de plus mauvais en lui. Elle fait ressortir son côté animal, montre que les hommes se combattent toujours entre eux. Le dénouement final se joue évidemment à presque rien, à un détail, qui fait que l'homme reconnaît son erreur et ne condamne pas un innocent. Ces représentations de la folie humaine et de l'idée de justice reviennent toujours dans les westerns de Daves (La dernière caravane, 3h10 pour Yuma, La colline des potences - qui reprend à peu près la même trame, et les mêmes conséquences, en pire).

Cette histoire aurait pu faire un très bon Film Noir, l'originalité vient du fait qu'elle est transposée dans l'Ouest sauvage. Sauvage par ses paysages, somptueusement filmés (Daves utilise des décors naturels), sa nature, ses étendues immenses. Car l'homme, lui, l'est de moins en moins a priori : les ranchs et les barbelés annoncent la propriété individuelle, la fin de la conquête de l'Ouest, la justice et les lois. Pourtant l'histoire n'est pas datée, et ne fait en rien référence à une quelconque allusion historique. Perdus au milieu de nulle part, rien ne peut retenir ces hommes de se dévorer entre eux. La mise en scène est maîtrisée de bout en bout, avec dans ce film plus particulièrement, une intensité dramatique très forte, remarquablement filmée (les allusions de Steiger à son patron lors d'un campement, la désillusion de Borgnine dans sa propre chambre, son arrivée dans le saloon, la sortie de Ford devant les cavaliers) et qui s'adapte au propos : les travellings sont privilégiés aux plans de grue, et rendent les scènes très marquantes (le mouvement de caméra partant du dos de Glenn Ford pour arriver sur le fusil de Ernest Borgnine).

Mais la particularité de Delmer Daves est également dans le traitement de son histoire, de ses personnages. James Stewart chez Anthony Mann finit toujours par se perdre momentanément dans la colère, dans la vengeance, dans la violence. On ressent chez Daves de la compassion pour les hommes dont il montre les faiblesses. Ainsi, Glenn Ford ne tombe jamais dans la violence ou la vengeance, il reste en retrait, fier (tout comme Van Heflin dans 3h10 pour Yuma ou Gary Cooper dans La colline des potences). La violence elle-même n'est pas montrée, à l'image de ce superbe mouvement de caméra partant des hommes tournant comme des loups autour de leur proie, qu'ils vont lyncher, et finissant sur un crochet suspendu à l'entrée de la grange. Car il y aura tout de même un lynchage - l'homme est ainsi fait - plus juste celui-là, presque mérité. Mais Daves, pour montrer son optimiste ou masquer son pessimisme, préfère terminer sur un plan heureux, où l'homme bon part se confondre avec le paysage. Cela peut faire démodé aujourd'hui. J'y vois personnellement une très grande leçon de cinéma, donnée modestement et avec talent par un metteur en scène hors pair.

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