lundi 29 novembre 2010

Une histoire immortelle (1968)


UNE HISTOIRE IMMORTELLE (The Immortal Story)
Réalisateur : Orson Welles
Scénario : Orson Welles
Avec : Roger Coggio, Jeanne Moreau, Orson Welles, Norman Eshley

Pour asseoir son omnipotence, un marchand de Macao décide de réaliser la fable que les marins se racontent de génération en génération : passer une nuit d'amour avec une très belle femme afin d'offrir une descendance à son mari stérile.

Originalité : 9/10
Scénario : 9/10
Musique : 7/10
Interprétation : 9/10
Mise en scène : 9/10
>> Note globale : 8.6/10

Produit par la télévision française, ce film ressemble à un testament. Et pas n'importe lequel, celui de Orson Welles. Une histoire immortelle n'a d'ailleurs d'intérêt que si on l'aborde dans cette optique. D'une très courte durée, cette fable sent la fin et la mort dès les premiers plans, complètement épurés, vides. D'une très grande beauté visuelle (notons la belle lumière de Willy Kurant), elle présente d'emblée un personnage semblable à Citizen Kane, énorme, puissant, riche, à l'égo démesuré, courant vers une fin solitaire. Il désire entreprendre la même chose que son "aîné", un contrôle du destin de son entourage au bénéfice de sa propre gloire, ici en voulant obtenir l'impossible : transformer une légende en réalité. Welles se démarque ainsi parfaitement de la logique inverse (thème de nombreux films), et fait ainsi corps avec son personnage, décrit par son valet dans un superbe dialogue : "Lorsqu'on additionne différents nombres, on va de droite à gauche. Mais si quelqu'un se met en tête d'aller de gauche à droite, qu'est-ce qui va se produire ? Le total serait faussé."

Le film est fascinant à regarder, sans entrer dans l'histoire. Regarder Orson Welles, toujours aussi mégalomane en auteur, incarner un mégalomane à l'écran. L'échec de son personnage est presque plus prétentieux qu'une réussite. Les derniers mots du valet ("Il a attendu jusqu'à l'aube pour goûter à son triomphe, mais ensuite il n'a pas résisté à la conclusion") accentuent ce sentiment d'un réalisateur maudit trouvant dans l'idée du plus grand défi qui soit, la raison de ses multiples échecs et leurs conséquences (exil, productions au rabais, apparitions dans des films). Loin de montrer, avec la mort de son personnage, que la prétention et la mégalomanie sont des défauts (ses défauts), il s'installe définitivement sur un piédestal des intouchables, des génies morts d'avoir voulus voir trop grand, trop fort. Les personnages principaux deviennent alors secondaires, voire inintéressants (le rôle féminin, incarné par Jeanne Moreau - que je déteste - perd tout son intérêt dès lors qu'elle approche le riche marchand qui, dans son gigantisme, rend son douloureux passé parfaitement anodin, et sa figure très antipathique). Je n'ai jamais vu un film aussi égocentrique. Je n'ai jamais vu un film aussi égocentrique toucher au sublime.

Et comme on n'est jamais mieux servit que par soi-même, Welles s'auto-cite, avec talent. Le personnage de millionnaire rappelle Charles Foster Kane au crépuscule de sa vie, physiquement et psychologiquement. Et poussant le vice jusqu'au bout, il termine le film par ce qui avait ouvert Citizen Kane, un objet mélancolique qui tombe au sol, marquant la fin d'une vie, de ses souvenirs et de son vécu. La boucle est bouclée. Une histoire immortelle fut le dernier vrai film réalisé par Orson Welles. Lui seul pouvait trouver une aussi belle fin.

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